Catégories
Billets d'humeur Comprendre le changement Contribuer au changement Guide des égarés en entreprise Piloter le changement

Critique du changement selon « La vie liquide »

Zygmunt Bauman et sa critique du changement

Ceux qui conduisent le changement en entreprise considèrent le « changement permanent » comme un élément de contexte qui va de soi, une donnée de base. Aussi est-il utile de prendre du recul et de lire ou relire la critique du changement selon « La vie liquide », de Zygmunt Bauman. Dans son célèbre ouvrage, le sociologue disparu en 2017 décrit notre vie contemporaine prise dans le flux continu de la mobilité et de la vitesse, voire de l’accélération. Triomphe du consumérisme où l’homme devient lui-même objet de consommation avec une date limite de consommation au-delà de laquelle il n’est plus bon à rien d’autre qu’être jeté.

Le regard critique de Bauman sur le changement apparaît notamment dans les chapitres « Des consommateurs dans la société moderne liquide », « Apprendre à marcher sur des sables mouvants » et « Penser dans de sombres temps (relecture d’Arendt et d’Adorno) ».

 

Illustration pour blog changement violet

Je vous laisse savourer quelques extraits…

Capacité à oublier instantanément

Pour illustrer son propos, Zygmunt Bauman analyse les qualités requises pour les missiles intelligents, aisément transposables à nous-mêmes…
« Ce que le « cerveau » d’un missile intelligent ne doit jamais oublier, c’est que le savoir qu’il acquiert est éminemment jetable, valable uniquement jusqu’à nouvel ordre, utile seulement à titre provisoire, et que la garantie du succès tient à ce que l’on ne laisse pas passer l’instant où le savoir acquis perd son utilité et doit être mis au rebut, oublié et remplacé. »

A méditer pour tous ceux qui ont appris que conduire le changement commençait par construire une vision partagée, avec un but « fixe » à atteindre…

Changer sans perspective de victoire finale ni ligne d’arrivée ?

« Quand la cible n’est pas fixe, il est évidemment impossible de savoir à quelle distance on se trouve d’elle, et combien de temps on devra encore se battre pour l’atteindre. Cette incertitude est inamovible. Elle ne s’en ira pas, à moins que nous jetions l’éponge, que nous abandonnions tout espoir de victoire et que nous stoppions nos efforts. »

Combien de projets « avec cible mouvante » aujourd’hui dans les entreprises en pleine transformation ?…Combien de projets où l’épuisement et la perte de sens gagnent en cours de route ?

Changement à perpétuité ?

Après les missiles intelligents, Bauman nous parle des héros contemporains.
« Ils ne sauraient comment s’y prendre si on leur demandait de rester tranquillement assis. Le rejet du changement lui-même leur impose d’agir. Ils sont en mouvement parce qu’ils doivent être en mouvement. Ils bougent parce qu’ils ne peuvent s’arrêter. Telles des bicyclettes, ils ne tiennent debout qu’en roulant. Ils semblent suivre le précepte de Lewis Caroll : « Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu’on peut pour rester au même endroit. »

« A leurs yeux, être en mouvement n’est pas une entreprise provisoire qui finira par tenir sa promesse et ainsi annuler sa propre nécessité. Etre en mouvement n’a qu’un but : rester en mouvement. »

Le changement, comme fin en soi…

Produit fini et déchet

« Le déchet est le produit fini de toute action de consommation. (…)De nos jours, c’est au tour de la partie utile d’avoir une durée de vie brève, d’être volatile et éphémère, afin de céder sa place à la nouvelle génération de produits utiles. Seuls les déchets ont tendance à être (hélas) solides et durables. « Solidité » est désormais synonyme de « déchet ». »  

Cette analyse de l’action de consommation pourrait-elle aussi s’appliquer au travail, aux résultats de notre travail alors que nous vivons le renversement des valeurs attachées à la durée et l’éphémère ? La valeur nouveauté trône désormais au-dessus de celle de durabilité, sachant la réduction du laps de temps séparant le manque de l’obtention. En d’autres termes, le « time to market ».

« On connaît du changement, encore du changement, toujours du changement, mais pas de destination, pas de limite finale, pas d’anticipation d’une mission accomplie. Chaque instant porte en lui un nouveau départ et la fin : autrefois ennemis jurés, aujourd’hui frères siamois. »

Voilà de quoi nourrir votre réflexion critique du changement pour toute l’année non ? 😉