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La DSI et la transformation en entreprise, rôle et enjeux

La DSI et la transformation, entretien avec Philippe Martinet

A différents postes de direction des systèmes d’information, Philippe Martinet a participé au passage en numérique des chaînes du groupe Canal+ en 1996 puis à la transformation entre 2000 et 2003 de Canal+ technologies en éditeur mondial de solutions de Digital TV. Il a ensuite rejoint en 2005 le groupe Eutelsat, troisième opérateur mondial de services fixes par satellites, pour la mise à l’état de l’art de ses SI. Au sein du groupe Aéroports de Paris, il a entre 2011 et 2015 transformé l’organisation autour des systèmes d’information et participé aux grands projets numériques à la croisée de l’exploitation aéroportuaire et du « travel retail ». Il supervisait également le développement de la filiale télécom d’ADP en tant qu’administrateur.

Philippe Martinet, 48 ans, est ingénieur diplômé de l’Ecole Supérieure d’Informatique Electronique Automatique (ESIEA), ainsi que titulaire du MBA international de l’ESCP Europe.

De la DI à la DSI

La DSI a souvent été celle par qui le changement arrive dans l’entreprise. Quels sont son rôle et son image auprès des métiers ?

Tout d’abord je tiens à préciser que mon propos est tiré de mon expérience, je ne prétends pas exprimer une vérité absolue en la matière, à supposer qu’il en existe une…

Avant d’évoluer en Direction des Systèmes d’Information au début des années 2000, la Direction Informatique a tout d’abord été une direction d’expertise technique qui avait pouvoir de décision sur les technologies de l’information, notamment sur le choix des solutions et des fournisseurs, détenant le budget et le savoir. La DI a progressivement évolué pour intégrer des connaissances métiers plus larges et mieux prendre en compte la dimension systémique des systèmes d’information, toujours plus complexes.

Certains grands projets informatiques ont parfois été des échecs malgré les qualités techniques et fonctionnelles des systèmes informatiques livrés : les choix de solutions applicatives ont été très structurants pour les métiers et les changements liés à ces projets ont souvent été sous-estimés et de ce fait pas assez accompagnés. La DI était la direction qui portait, à tort ou à raison, une grande part de responsabilité de ces échecs quand ils survenaient, donnant l’impression de laisser seuls les métiers face aux produits qu’elle leur livrait.

Le passage à l’an 2000 avec son cortège de mises à niveau logicielles et de renouvellement du matériel a marqué un tournant dans la façon dont la DI a été perçue par certaines Directions Générales (direction dispendieuse, à la stratégie obscure et finalement au pouvoir contesté).

L’arrivée massive de l’informatique dans la sphère du privé avec l’arrivée d’Internet a accentué ce mouvement en donnant à l’utilisateur une capacité de décision et de jugement sur l’offre informatique proposée pour des usages personnels, alors que l’offre de solutions aux entreprises s’enrichissait et se présentait comme un «service tout en un» allant jusqu’à l’hébergement des données et l’externalisation des processus métier. L’informatique devenait l’affaire de tous, les spécialistes du SI ayant plus de difficulté à faire comprendre leur valeur ajoutée, les métiers les renvoyant face à la complexité du SI qu’ils avaient créé (en refusant, dans leur vision en silos, leur part de responsabilité pour les systèmes qu’ils avaient pourtant spécifiés).

Ainsi, la DSI n’est plus l’unique apporteur du changement par la mise en œuvre des solutions informatiques.

Aujourd’hui, quelle est la météo des relations entre une DSI qui n’est plus incontournable et les métiers ?

Le sujet pour la DSI n’est pas d’être incontournable mais d’être reconnue pour sa valeur ajoutée.

De nos jours, la DSI peut être encore vue par les métiers comme une direction plus soucieuse de la sécurité et la pérennité du SI que de répondre dans les temps aux besoins métier, alors qu’une bonne gouvernance des SI devrait permettre de concilier cela.

Faire faire par la DSI est encore synonyme pour certains de solution lourde, longue, coûteuse, peu souple…d’autant plus qu’il est si simple en apparence de prendre les services d’une société de conseil ou de s’adresser directement à une jeune pousse pour acquérir l’appli numérique dernier cri au look sexy ! Là encore, des méthodes agiles et des solutions organisationnelles existent autour des projets pour rendre le métier acteur et co-responsable des choix, les maîtres-mots étant confiance, avec de la transparence donnée sur les enjeux respectifs, et solidarité dans les choix, la mise en œuvre et la communication à tous niveaux.

Sans cela, la DSI et les directions métiers rentreront dans un rapport de force stérile et consommateur d’énergie, le pouvoir de décision allant in fine à celui qui détient le budget et la confiance de la DG…

Heureusement, la météo de la relation est à l’amélioration : Je crois que la DSI a tout intérêt à s’inscrire dans une démarche de partenariat avec les métiers, sachant qu’elle est incontournable pour son expertise et ses capacités de faire vivre le SI par l’intégration de nouvelles solutions. Même si cette démarche peut parfois susciter l’incompréhension des équipes de la DSI qui peuvent alors reprocher au DSI de « prendre le parti » des métiers dans la gouvernance des SI, la DSI est là pour contribuer à la pérennité de l’entreprise par la capitalisation des connaissances métier, notamment sur ses données clés, ses processus et règles, mais aussi par la robustesse et la sécurité des SI. Il faut donc aussi faire évoluer la culture des équipes et pas seulement les organisations et les pratiques.

Illustration pour DSI et la transformation numérique

En ces temps de transformation numérique…

Comment s’organiser ?

D’un point de vue pratique, on ne manage pas, on ne décide pas les SI comme on consomme !

Le comportement du décideur en entreprise vis à vis de l’informatique et du numérique ne peut pas être calqué sur celui du consommateur zappeur car un SI performant apporte de la valeur en capitalisant les savoirs au fil des ans, tout en évoluant.

J’ai donc une forte préférence pour une approche collective par la mise en place d’un « ComEx digital » sponsorisé directement par la DG, au sein duquel le DSI contribue à la réflexion sur la transformation des métiers, apporte des solutions avec son expertise technologique, ses connaissances de l’écosystème IT et numérique, ainsi que ses capacités de pilotage de projets complexes.

Il est aussi essentiel d’intégrer les initiatives numériques dans le schéma directeur des SI avec une allocation claire des moyens et des ressources pleinement assumée par le collectif du top management. Il est également nécessaire de régler la « dette technique » du SI à chaque évolution pour garantir la pérennité de cet actif d’autant plus stratégique que nous sommes à l’ère du numérique !

La transformation numérique est-elle différente suivant la taille de l’entreprise ?

Non, je ne le pense pas. En revanche, la transformation numérique prend des significations et des enjeux différents suivant le secteur d’activité concerné. La « frénésie » actuelle autour du numérique tend également à créer un effet repoussoir pour les entreprises dominantes sur leur secteur, qui ont les moyens de résister ou d’absorber des start-up avant une éventuelle disruption. La transformation numérique, c’est avant tout la transformation de l’entreprise, le numérique étant plutôt un inducteur.

D’un point de vue technique, Il est crucial de ne pas faire semblant d’évoluer, de refaire la vitrine numérique (e-services, apps) sans correctement la connecter au back-office pour des économies à court terme… Sur la durée, ce serait vraiment dangereux pour l’entreprise, pour la qualité des services et conduirait à une perte de capacité de créer de la valeur ! La DSI se retrouverait alors condamnée à corriger le tir au risque de se faire accuser d’être chère et de ne pas créer de valeur…

L’écosystème de la DSI est-il lui aussi en pleine transformation ?

Effectivement, la tendance actuelle globale de désintermédiation (qui touche aussi les DSI) et l’apparition des start-ups de la French Tech changent le paysage de l’offre autour de l’IT et du numérique.

La DSI doit s’ouvrir aux jeunes pousses et enrichir son écosystème déjà composé d’entreprises de services du numérique (SSII), d’éditeurs et de constructeurs informatiques.

Peu importe qui du métier ou de la DSI découvre un nouvel acteur du numérique, l’enjeu est que la vision de l’écosystème ne soit pas éclatée pour que la DSI puisse mieux accompagner l’entreprise dans son développement et sa transformation avec une offre complète et maîtrisée, capable d’intégrer des produits et des fonctionnalités novateurs au SI existant, ainsi pérennisé.

Dans le cas particulier de la prise de participation de l’entreprise dans une startup du numérique, la DSI a un rôle prépondérant à jouer dans le choix stratégique et lors de la due diligence, pour valoriser l’apport en regard de la richesse fonctionnelle et technique du SI existant, et pour permettre de limiter les risques en matière de propriété intellectuelle, de qualité de code, de sécurité, y compris de risque financier par rapport à l’acquisition plus conventionnelle d’un produit ou d’une expertise.

Merci à Philippe Martinet pour cet éclairage particulièrement riche et vivant, directement issu de sa réflexion personnelle à partir de son expérience de DSI.

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Billets d'humeur

« Management et changement »

Management et changement…changer le management !

Cette semaine j’ai envie de partager avec vous des propos entendus lors du petit déjeuner organisé par l’OSI (Observatoire Social International) et l’ANDRH (Association Nationale des DRH) sur le thème « Management et changement : comment conjuguer décision et coopération ? », le 29 septembre 2015, dans le très bel auditorium de Scor, avenue Kléber à Paris.

Mon billet n’est pas un compte rendu de cette manifestation mais les propos des intervenants m’ayant paru enrichissants et stimulants je souhaite vous en faire profiter en reprenant certains des points évoqués lors de la table ronde ou des échanges avec le public.

Coller à la réalité

David Askienazy, co-fondateur avec Antoine des Mazery du cabinet am+da spécialisé en conduite du changement insiste sur l’importance d’une transformation qui soit réellement adaptée à la réalité du métier, faute de quoi s’installera une forte résistance au changement. Le dialogue véritable est indispensable entre le décideur stratège et « le terrain ».
Issu des propos de David Askienazy, un exemple bien « parlant » : le management avait prévu un changement mettant en place le travail de nuit (passage de 2×8 à 3×8) ce qui perturbait l’équipe utilisant les chariots élévateurs électriques dont le rechargement s’effectuait précisément…la nuit.

En écho aux propos de David Askienazy, Pierre Deheunynck, DRH du groupe Crédit Agricole rappelle que les dirigeants – eux aussi – sont stressés par le changement. Il est loin le temps où le changement s’effectuait sans que l’on ne s’en rende compte. Les dirigeants ont eux aussi des difficultés face au changement. En particulier, ils ont la croyance qu’ils sont à leur poste, leur niveau de responsabilité pour diriger seul (ou quasiment) sans associer. Selon Pierre Deheunynck, une approche « co- » leur permettrait une vision globale, à 360° du changement et non pas seulement une approche partielle  à partir de leur prisme de dirigeant.

Si je reprends l’exemple du rechargement du chariot élévateur, ne pas savoir qu’il se recharge la nuit est une chose, ne pas le demander ou chercher à le savoir en est une autre. Dans cet exemple, le rechargement du chariot élévateur correspond à une interrogation, une crainte. Ne pas chercher à connaître les questionnements, les incompréhensions ou les peurs de celui qui va vivre le changement va générer une forte résistance au changement.

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Ne plus penser pour les autres, mais penser avec eux

Pour Jean-Paul Bouchet, président de l’AGIRC et secrétaire général de CFDT Cadres, le management doit arrêter de penser pour les autres, mais penser avec eux. La pluralité des expressions est essentielle dans la conduite du changement. La coopération est aujourd’hui indispensable pour donner de la cohérence et du sens de bout en bout, de la conception à la mise en oeuvre du changement. Faisant référence à un cas de figure qu’il a vécu au cours de sa carrière, Jean-Paul Bouchet affirme avec conviction « Le responsable de projet ne doit pas accepter de prendre un projet dont il sait qu’il ne marchera pas, qu’il est voué à l’échec. »

En ce qui concerne l’articulation entre décision et coopération, je vous invite également à lire le billet « Décision et changement« .

Un changement de paradigme

« La coopération relève d’un changement de paradigme », poursuit Jean-Paul Bouchet.
Passer d’un management d’individualisation glorifiant la figure du dirigeant comme héros solitaire à la coopération est une transformation en profondeur, à savoir passer de faire pour son intérêt à faire bien pour le groupe.

Philippe Canonne, ancien DRH et membre du bureau de l’ANDRH, considère que le « management de la performance » mis en place depuis 20-30 ans n’a pas marché. Il faut désormais s’adresser à tout le monde et pas seulement aux « happy few ». Il y a nécessité de refonder le pacte social de l’entreprise pour faire face à la transformation numérique.

Le chemin et la destination

En tant que responsable de projet je suis sensible à la formule de Jean-Paul Bouchet « Le chemin de la transformation est tout aussi important que la finalité du changement. »

Et vous, qu’en pensez-vous ?…N’hésitez pas à laisser vos commentaires !